Quelques heures après avoir terminé ma première SaintéLyon en 2014, je n’avais qu’une idée en tête : revenir en 2015. Les billets de train étaient réservés depuis belle lurette, la page dans l’agenda pleine. Miss Monde aurait pu me demander en mariage qu’elle aurait essuyé une terrible humiliation, même si j’imagine qu’elle aurait été compréhensive et qu’elle aurait accepté de décaler.
Sébastien, le président directeur général du TeamUR s’était occupé de tout. Dossard retiré (j’ai quand même vérifié s’il n’avait pas trafiqué ma puce) et prise en charge à la gare de Lyon notamment. Nous devions rejoindre quelques camarades pour une Pasta & Death Metal Party chez Thibaut, avec Anne, Hélène, Mathieu, Kevin et Matthieu, tous ou presque participant à l’épreuve en solo ou en relais.
Rapidement, nous avons pris la voiture pour faire le trajet de Lyon à Saint-Étienne (merci à Anne). De mon côté, cela faisait déjà plusieurs heures que l’inquiétude m’envahissait. En effet, voilà deux semaines que la pubalgie était réapparue et mon volume d’entraînement était très insuffisant, en tout cas pour faire mieux que l’an dernier. Mais on espère toujours le miracle et être dans un grand jour…
J’essayais de me détendre en lisant mes SMS, les copains sur les réseaux sociaux et en écoutant mes partenaires dans la voiture, étonnamment bien bavards. Puis je pensais à ce que je n’aurais éventuellement pas prévu ou ce que j’aurais pu oublier. C’est un peu tard, je sais, c’est le manque d’expérience.
Départ de la Saintelyon 2015
A peine le temps de cogiter que nous sommes déjà sur la ligne de départ, bien placés, prêts à affronter 72km et 1730m D+. Heureusement, la météo est très favorable, avec l’absence de neige et des températures positives. Je rêvais de titiller les 9h. Après une minute de silence et une Marseillaise spontanée en hommage aux victimes des attentats de Paris, nous partons enfin… Sauf ma montre GPS qui mettra 4km pour démarrer.
Kevin et moi suivons Sébastien qui donne l’allure. 4mn45/km environ pour les 7 premiers kilomètres en terres stéphanoises. L’idée, c’est de prendre le bon train pour éviter d’être trop serrés dans le peloton dès les premières côtes. Très vite, nous retrouvons les repères de 2014. C’est comme si c’était hier.
J’appréhendais la première montée et Sorbiers était un bon révélateur : les cuisses sont déjà bien dures. J’ai déjà du mal à suivre Sébastien et Kevin, décidément toujours aussi bavards, sur les passages de marche rapide mais je les rattrape en courant. A la sortie de Sorbiers, les premiers chemins de terre sont trop étroits, il y a du monde et je manque constamment de tomber en cherchant mes comparses juste devant. Je m’épuise jusqu’à ce que je décide de prendre mon rythme et de me concentrer sur le chemin que nous suivons. Peut-être que naturellement je resterais au contact. Je me rassure aussi en pensant qu’ils ont l’air d’être du même niveau donc capables de faire un grand bout de chemin ensemble.
Saint-Christo, premier ravito
Sébastien et Kevin m’attendent au ravito. Ils me demandent si j’ai besoin de m’arrêter, je fais signe que je peux le zapper. Nous repartons ensemble mais pas pour longtemps. Ils me lâchent déjà sur je ne sais quelle montée ou descente qui mène jusqu’à Sainte-Catherine.
Sur les crêtes, je retrouve quelques légères sensations. Et sur une descente bien caillouteuse, je me tords la cheville. Je sens une belle décharge qui semble monter dans les ligaments. Je ne m’arrête pas mais j’insulte la terre entière. Je ne suis pas le seul d’ailleurs. C’est une des caractéristiques de cette SaintéLyon par rapport à celle que j’ai vécue en 2014. L’absence de boue rend le terrain, certes moins glissant, mais aussi moins souple. Mieux vaut être bien chaussé.
Sainte-Catherine : l’esprit trail…
La longue descente qui mène à Sainte-Catherine fait bien plaisir. On sent qu’on arrive. Pourtant, une fois dans l’espace dédié au ravito, c’est la douche froide. Les coureurs s’agglutinent autour des rampes pour tendre leurs gourdes sous un tout petit filet d’eau. Beaucoup d’entre eux ne respectent pas la file d’attente et doublent sans scrupule. Celui qui respecte les autres est sûr de perdre un temps immense. Et une fois ses gourdes remplies (pour ma part je n’ai pas eu la patience d’attendre qu’elles soient pleines), c’est encore la bousculade pour atteindre les tables qui proposent de la nourriture. On positive en se disant que, heureusement, personne n’est en possession d’une arme…
La bousculade continue pour sortir de la tente. Habituellement on profite des ravitos pour se réchauffer le coeur mais à Sainte-Catherine, c’est l’écoeurement. Ça et les pépins physiques que je traîne, j’envisage déjà l’hypothèse d’un abandon. Et je n’ai parcouru que 28km. Sébastien et Kevin ont 4 ou 5 minutes d’avance.
Désormais, les pentes sont plus longues et peut-être aussi plus raides. Le ballet des lampes frontales est joli à voir. Moralement, je décline encore. La cheville douloureuse se tord dans tous les sens. Je laisse un message à Sébastien pour le prévenir que c’en est fini pour moi. A Saint-Genoux, je rendrai mon dossard. Il essaie de me remonter le moral et me dit qu’il m’attendra au ravito. Je lui dis de ne pas le faire, de faire sa course. En prenant conscience que je suis en train de rater ma course, j’ai envie de pleurer. Et, poisse supplémentaire, ma lampe s’éteint. Il n’est pas encore 5h du matin. Je me mets sur le côté pour prendre ma recharge pendant que des myriades de lucioles me doublent. J’ai la rage. Au téléphone, Sébastien m’annonce qu’il va appeler un taxi pour nous ramener à Lyon. Je le prends à la rigolade, pour ce qui peut me rester d’humour à ce stade, et je me dis qu’il veut juste m’attendre pour que nous repartions ensemble.
Le tournant de ma Saintélyon
Je cogite. Je songe à la déception que j’aurais si je quitte la course. Un déplacement de Lille pour faire 40km… J’ai un peu honte. Et j’arrive à me convaincre que je peux finir une Saintélyon sans ambition chronométrique. De toute façon, je suis sûr de dépasser les 10h. Je peux bien continuer sans pression. Et puis, j’ai envie de contempler le soleil se lever sur Lyon, d’en découdre avec la montée à 18% le long de l’aqueduc romain à Sainte Foy-Lès-Lyon et de franchir l’arche lumineuse que je n’avais pas vue la veille. Ma compagne n’arrête pas de m’envoyer des SMS d’encouragements, me prévient des difficultés à venir, et surtout me persuade que j’ai traversé la partie la plus compliquée. C’est clair !
A 5h pile, j’arrive à Saint-Genoux (km40). Je vais au combat pour obtenir de l’eau et quelques trucs sucrés à manger. Je fais comme les autres, je mets des coups. J’aperçois enfin Sébastien et Kevin. Kevin me dit qu’il s’endort en courant, Sébastien qu’il n’arrive pas à respirer. Ils ont rendu leur dossard. Je prends un coup au moral. Je sais que j’ai envie de continuer et j’ai la nette impression de les trahir. Ils m’ont attendu à plusieurs reprises sur le parcours et je pense les avoir influencés en leur disant que j’allais abandonner. Et voilà que je suis prêt à les lâcher. Ils me rassurent mais je ne suis pas convaincu.
Je veux faire encore 10km pour voir. Direction Soucieu en Jarrest.
Les chemins deviennent plus agréables. Même si globalement la tendance est à la descente, c’est toujours l’alternance montées-descentes. Je me laisse un peu aller et chute lourdement sur la tête. A ce moment précis, je me dis que c’est le signe que je n’aurais pas du continuer. Je me mets en mode pilote automatique. Je mets mes oreillettes et j’écoute un podcast sur les techniques agricoles en Kalmoukie. Je ne regarde plus ma montre, elle m’a lâché…
Il est 6h45, j’arrive à Soucieu (km51). Il y a du monde venu nous encourager et une salle chauffée nous ouvre grand ses portes. Je me rue sur les tartelettes et le fromage. L’endroit est plus agréable, les coureurs sont plus calmes, pas forcément tous. Il reste un peu plus de 20km.
Je rêve d’un parcours plat sur lequel je pourrais courir à 10km/h. C’est une illusion. En revanche, il y a davantage de portions de route, ce qui me fait un bien fou. Je me méfie néanmoins toujours des passages en sous-bois car les racines et les pierres provoquent beaucoup de chutes autour de moi. Alors que nous sommes quelques uns à ralentir dans les descentes humides et piégeuses, d’autres passent à l’attaque et prennent des risques. Ils n’hésitent pas à s’aider quand ils glissent en s’appuyant sur nous. Sans gêne.
Chaponost, bientôt la fin…ou pas !
Il est 8h12 lorsque j’atteins Chaponost, dernier ravito situé à une bonne dizaine de kilomètres de l’arrivée. Je me change, j’enfile ma casquette fétiche et je perds beaucoup de temps à rien faire. Les calculs commencent. Je discute avec une demoiselle qui me dit qu’au vu du profil de la course, il ne reste que de la descente. Je la préviens que selon moi, il doit bien rester 1h30 de course et une montée très difficile dans 4-5km.
Les chemins sont plaisants mais on n’en a pas terminé pour autant avec les montées. Il ne faut pas rêver. Je profite des descentes pour prendre un peu de vitesse, les quadriceps sont carbonisés mais tant pis, de toute façon, je ne compte plus les muscles ou les articulations douloureuses. A Sainte Foy-Lès-Lyon, j’attaque la fameuse montée en alternant marche et pause pour soulager les crampes. Je ne suis pas surpris mais c’est un passage vraiment terrible. Les kilomètres ne défilent pas et les panneaux kilométriques sont une torture de plus. Je dévore les trois derniers kilomètres de route avec un peu de musique dans les oreilles pour me transcender un peu, ravi de savoir que l’arrivée est plus proche que l’an dernier. Je vois le Pont Raymond Barre juste après avoir longé les quais et ce que je pense être la Halle Tony Garnier. Le public nous encourage, les enfants nous tapent dans la main, et un panneau indique l’arrivée à 100m.
Je termine ma deuxième SaintéLyon
Je réalise que j’ai eu le courage d’aller au bout de moi-même, de puiser dans mes ressources mentales. Seul, parce qu’on l’est indéniablement dans cette course. Je pense à mes proches qui m’ont encouragé tout au long de l’épreuve, à ceux qui ont fait une nuit blanche pour suivre ce qui est, même à notre modeste niveau, un challenge sportif, je pense à cette arche qui m’impressionne, aux copains du TeamUR que je retouverai ensuite et aux autres que j’ai le plaisir de rencontrer.
Je traverse l’arche, je veux voir Sébastien et Kevin qui avaient les moyens de réaliser une belle performance, je veux partager ce moment là avec eux même si la honte de les avoir trahis m’enserre. Ils m’appellent, je les vois, je leur tends les poings.
Je songe à Miss Monde au début de ce récit, qu’elle peut bien m’épouser mais qu’elle attende quand même que je puisse de nouveau tenir sur mes deux jambes. Je songe à l’année prochaine et à ma détermination, celle de prendre le départ de la Saintélyon 2016 avec une condition physique qui saurait respecter un peu plus l’histoire de cette épreuve que je trouve dégoûtante à de nombreux points de vue, mais merveilleuse dans ce qu’il reste de ses racines.
Je songe à la photo de ma fille de 3 ans, reçue quelques minutes auparavant. Elle me tend son pouce, comme pour dire “Chapeau !”, comme elle le fait d’habitude. Je lui ai envoyé un pouce en retour alors que je grimpais la montée de l’aqueduc romain.
Il est 9h39, le résultat n’est pas à la hauteur de mes espérances mais je m’en fiche, j’ai accompli cette aventure avec beaucoup de peine. Et je suis heureux.
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