Chamonix, dimanche 31 aout 2014, 3h13 du matin, le dossard 590 franchit la ligne d’arrivée de l’Ultra Trail du Mont Blanc !
Le fameux UTMB, un rêve pour certains, une folie pour beaucoup : trois pays traversés, 168 km, 10 000m de Dénivelé.
Des caractéristiques qui, si elles peuvent donner le vertige, sont finalement si peu représentatives de ce que ressent réellement le coureur qui a le privilège de passer sous cette fameuse arche de la place du triangle de l’amitié.
33 heures et 41 minutes plus tôt, au cœur d’un peloton de 2300 athlètes, je quittais ce même lieu, sous des trombes d’eau, pour une aventure extraordinaire autour du toit de l’Europe.
Pour cet UTMB, je me suis une nouvelle fois parfaitement entouré : Régis, fidèle au poste depuis les premières heures sera accompagné cette année par mon ami, un second père pour moi, Philippe. Gaetan, retenu par le boulot mais plus que motivé à l’idée d’être des nôtres nous rejoindra en début de soirée.
Une des particularités de l’UTMB est que le départ est donné en fin d’après-midi (17h30 cette année) et qu’il y a donc toute la journée à gérer. Vincent, du J.A.Fretin, rencontré lors du marathon de Rotterdam, nous a largement facilité la tâche en nous invitant à la pasta party des Colart.
16h00, je jette un dernier coup d’œil au parcours, fais le plein d’eau avant d’ajuster tenue, sac et dossard. Une dernière vérification du matériel et il est temps de se diriger vers la ligne de départ.
H-1 … La compagnie de Vincent m’aide à relativiser l’événement. Je reste tendu, mais la course va être longue, il va certainement se passer des tas de choses, et me la répéter mentalement ne m’apportera qu’un stress parasite et des craintes infondées.
Les officiels se succèdent sur la ligne de départ pendant que les favoris prennent place dans le sas qui leur est réservé. L’heure approche, la tension monte, les visages se ferment et les réponses aux appels du speaker sont de plus en plus timides. La foule, malgré la pluie qui a repris de plus belle, a envahi la place, les rues adjacentes et les balcons : c’est énorme ! Le compte à rebours démarre : 5, 4, 3, 2, 1…. C’est parti !
17h31, l’aventure commence sous des trombes d’eau mais devant un public incroyable. Sur plusieurs rangs, ils nous encouragent, nous applaudissent, hurlent, tapent sur tout ce qu’ils peuvent. Les commerces sont vides, les balcons bondés, les lampadaires assaillis … il y a du monde partout, les dialectes se mélangent dans un vacarme assourdissant. Nous sommes portés, traités en héros et, alors que le premier kilomètre se termine, j’aperçois Régis au cœur de la foule : un signe, des cris tout ce qu’il me fallait pour que ma course démarre vraiment.
Les premiers kilomètres, nous menant aux Houches, sont globalement descendants et empruntent un large chemin, sans piège particulier, le long de l’Arve. Je cours à mon aise, libéré et au sec malgré des nuages toujours aussi menaçants.
Aux Houches (Km 8), le public est de nouveau au rendez-vous. Je ne m’arrête pas au ravitaillement mais attrape une barre avant d’attaquer la première ascension d’une longue série : Le col de de Voza (ou col de Charmes). Une large piste à la pente douce et sans difficulté particulière où le passage au sommet (1770m) ne laisse guère de souvenir quelques jours plus tard. Sa descente, rendue glissante par la pluie qui ne nous épargne plus maintenant, ne présente pas de pièges particuliers, et m’emmène gentiment vers Saint Gervais (Km 21) où j’échange quelques mots avec Sébastien CHAIGNEAU, rencontré au mois de juin dernier.
J’enfile mes accessoires de nuit avant d’entrer dans l’une des parties que je redoute le plus. Finalement, la densité des pelotons ne m’offre que peu de latitude dans les single-tracks, où ma cadence dépend principalement du coureur qui me précède. Je n’ai pas l’impression de forcer et pourtant je sens venir mon premier coup de moins bien. La pluie n’arrange rien et, alors que je pense à me ravitailler, je me retrouve à plat ventre fauché par mes propres bâtons.
Aux Contamines (km 31), je retrouve Régis pour le premier ravitaillement avec assistance autorisée. Je suis toujours en mode runner : je récupère mes deux bidons, mange un peu et repars sans m’attarder. Je peste tout de même contre cette météo qui me gâche une nouvelle fois le plaisir de courir sur les sentiers du Tour du Mont-Blanc (TMB).
La pluie a enfin cessé et la température est agréable dans les premiers lacets de la Croix du Bonhomme. Je prends un rythme économe et efficace qui me mène assez rapidement à La Balme (1703m). Après le ravitaillement les choses se corsent et le sentier, droit dans la pente, rend ma progression plus laborieuse. Au passage du col (2300m) je me ravitaille – il faut encore grimper à la croix du Bonhomme (2440m) – tout en admirant la lignée de frontales évoluant dans la pente exigeante de l’ascension du Bonhomme. Le tableau est magique !
Dans la dernière partie – qui me semble interminable – la fatigue commence à peser et je passe le sommet après 1h30 d’ascension qui laissera certainement des traces. La descente (900m D- en 5 km) n’est pas trop exigeante et je rejoins les Chapieux sous les ovations d’un public emmené par un Régis inspiré.
Contrôle des sacs, le plein et je repars sans m’attarder pour profiter de mon équipe. Gaetan a rejoint Philippe et Régis et – malgré le milieu de la nuit – ils semblent tous les trois au top.
A la Vile des Glaciers (Km 53), je reste dans la foulée d’un coureur Espagnol. Le silence dans le col de la Seigne (2507m) est impressionnant. Personne n’a envie de parler, pas même moi ! Je suis concentré sur ma course, mon rythme et mon ravitaillement. Je passe le col et la descente assez courte et peu technique me mène au Lac Combal.
Je trottine le long du lac que je n’aperçois même pas dans cette nuit noire peu étoilée avant d’attaquer l’Arrête du Mont Favre. Si la nuit me pèse de plus en plus, je mettrais moins d’une heure à basculer sur Courmayeur 1230m plus bas. Au col de Chercrouit, où le plus dur reste à faire, je sens déjà un manque criant de souplesse dans les quadriceps … la suite de la descente ne sera qu’un enfer. Incapable de courir sur un sentier raide et technique par endroit, stressé par le clignotement répété de ma frontale en fin de vie, je parviens dans la vallée dans un état de fatigue plus qu’avancé. Ma course vient de basculer en 45 minutes.
Je retrouve Régis et Gaëtan qui ne peuvent que constater mon état d’épuisement avancé. Rien ne va vraiment à cet instant. Outre la fatigue et les douleurs, je n’en peux plus de cette nuit interminable et je ne sais déjà plus comment gérer la suite des hostilités (90 km et 5500m D+/D-). Régis et Gaetan s’occupent comme des pros de faire le plein et tentent de positiver et de me changer les idées. Ils semblent tout aussi surpris que moi de me trouver dans cet état …
Je repars vers Bertone la tête basse. Les premiers coureurs me reprennent avec une aisance que je leur envie. Moi, je lutte contre une pente difficile et irrégulière. Un coureur me rattrape en me complimentant sur mes chaussettes du team UR. Flatté, je lui en donne la marque … Il s’agissait du Directeur de Compressport dans la tenue spéciale UTMB. Nous échangeons quelques mots avant que je ne puisse définitivement plus le suivre.
Au refuge, je ne me pose pas et les divers replats jusque Bonnatti me permettent de trottiner un peu, mais dès que la pente décline trop mes quadriceps se tendent et il devient impossible de courir … Pire un point de côté me tiraille à droite et une gêne semble descendre de la hanche gauche … Suis-je au fond ? Il n’y a finalement que dans les ascensions que je ne traîne pas trop ma peine, contemplant enfin un panorama montagnard tel que je les aime.
Au refuge Bonatti, où l’ombre du toit de la course plane sur moi, je ne fais que passer. J’espère me refaire une santé sur la partie roulante me menant à Arnuva mais très vite je comprends que ce n’est pas pour tout de suite. Les descentes ne se courent toujours pas, et dans les replats je peine à dépasser la minute de trot.
Je rejoins Arnuva, sans qu’il ne me soit possible de courir dans la descente, où j’aperçois Vincent DELEBARRE. Surpris de le trouver ici, nous échangeons quelques mots sympathiques avant d’attaquer le majestueux Grand Col Ferret et ses 2527m !
J’attaque l’ascension prudemment, une progression que je juge efficace et économe. Le sommet a la tête dans les nuages, si je veux contempler le panorama, je dois anticiper. Je relance la machine, seul, mais régulier. Je retrouve des sensations agréables et l’ascension, si difficile soit-elle, se déroule plutôt bien. Au sommet un bénévole me félicite en m’annonçant le kilomètre 100… J’ignore si c’est une bonne ou une mauvaise nouvelle.
Je me ravitaille tout en contemplant le magnifique val Ferret Suisse qui me fait face, et je tente de trottiner un peu, mais la douleur aigue sur le haut du quadriceps gauche me stoppe net. Je marche, réessaie avec l’appui des bâtons mais rien à faire, la douleur est trop vive. Je tente de trouver une allure de marche efficace mais les coureurs sont de plus en plus nombreux à me doubler. Je peste, retente de courir, mais arrête quelques mètres plus loin. Je n’y arrive plus ! Mon corps refuse l’effort. Les larmes montent, je me sens seul, je vois mes objectifs s’envoler. Le négative spirit l’emporte et, au passage de La Peule, je ne ressens ni envie ni force d’aller plus loin.
La fin de cette interminable descente est un supplice pour le corps comme pour l’esprit. Je pense alors à tous ceux qui me suivent et, en particulier, à ma chérie et mes enfants. Je pense à papa, à mes accompagnateurs, à tous ceux qui sont derrière moi encore en course. Je ne peux pas partir comme cela, sans avoir tout donné, simplement parce que j’ai mal aux jambes, c’est l’UTMB quand même ! Mes pensées s’entrechoquent, tout me pousse vers la sortie mais je me sens encore en vie et je rêve de voir Chamonix ! Je quitte le sentier, bien accidenté sur ses derniers hectomètres, pour la route de la Fouly où Gaëtan, Philippe et Régis arrivent à ma rencontre.
Leur sourire franc disparait instantanément à mon contact. Je leur explique que je n’en peux plus, que c’est fini, que je n’y suis plus. Ils me parlent de tous ceux qui me suivent, du niveau de ma performance, de la grandeur de ce que je suis en train de réaliser … A l’approche du ravitaillement, les cris et les applaudissements sont nombreux et fournis, on crie mon prénom, une standing ovation quasi gênante accompagne même mon entrée dans la tente. Je remercie ces dizaines d’anonymes au regard chargé d’authenticité !
Je me ravitaille et je ressors retrouver mes trois acolytes qui repartent de plus belle dans leur argumentation, plutôt fondée il faut dire. Leur confiance en moi est déroutante, la sincérité de leur regard me prend les tripes. Aujourd’hui encore les larmes me montent en écrivant ces lignes, tellement je sais que c’est à cet instant là que la course a basculé de nouveau !
Je me prépare à repartir quand grand-frère Régis, tout en ajustant mon sac, aura cette phrase si simple et pourtant si forte : « Continue comme cela, tu dis que ça va bien dans les montées et bien monte correctement, marche dans les descentes et tout ira bien !!! ». Je fais encore quelques mètres à leurs côtés. Je suis bien, apaisé… Leurs cris d’encouragements raisonnent encore quand je pénètre dans la forêt dominant Praz-le-Fort.
La descente me tiraille toujours le quadriceps. Je tente de l’apaiser en le trempant régulièrement dans les torrents ou les fontaines, j’essaie d’atténuer les chocs avec les bâtons mais rien n’y fait ! Il faudra faire avec jusqu’à la fin.
J’attaque la remontée sur Champex qui se fera cette année sans problème majeur, enfin si l’on peut dire, après 21 heures de course quand-même.
C’est une nouvelle ovation qui m’accueille à Champex où des visages, croisés sur les ravitaillements précédents, deviennent familiers. J’entre dans la tente et cherche mes compagnons de fortune, l’heure de la pause est arrivée ! L’optimisme est revenu au sein de l’équipe. Je mange et je me change quasi en trente minutes chrono avant de repartir en homme neuf et rassasié ! Je sens en moi la détermination de celui à qui il ne peut plus rien arriver.
Je trottine jusqu’au pied de Bovine, longeant le gîte « Bon Abri » où tant de bons souvenirs me restent du week-end TNF / Petzl. L’ascension a changé cette année et cette version 2014 ne restera pas dans les annales ! Le pied, beaucoup trop roulant, fait place ensuite à une succession de rampes plus raides les unes que les autres. C’est un supplice ! Au sommet (2007m), la vue est magnifique mais je n’ai plus la force d’en profiter.
Nouvel essai de course dans la descente : rien n’y fait, je dois marcher. Les coureurs me doublent de nouveau. Ils ne sont pas très nombreux mais je ne peux m’empêcher d’être amer.
A Trient, je me sens plutôt bien et décide de ne pas trop m’attarder au ravitaillement. Je fais le plein, me ravitaille et ressors les accessoires de nuit. Je vais aller au bout, je le sais et ça décuple ma motivation. Je sors de la tente 8 minutes après y être entré et quand je pénètre dans Catogne, je sais que l’objectif des 35 heures tient toujours debout. Personne ne reviendra de l’arrière avant les dernières rampes de l’ascension mais la descente, quasi au même rythme que la montée, sera un nouveau calvaire auquel on ne s’habitue jamais vraiment.
A Vallorcine l’arrêt sera encore de courte durée. Ravitaillement, changement de bidons et de piles et je repars (5 minutes d’arrêt en tout et pour tout).
Au Col des Montets, je commence à y croire. Je connais cette ascension, facile, sans piège, elle n’est qu’un échauffement à la tête aux vents qui se dresse à son sommet. J’appelle ma chérie, ses mots me pénètrent directement au cœur. Je sens sa joie, sa fierté mais aussi sa réticence à se prononcer sur la belle issue que je suis en train de tracer. J’ai la meilleure femme du monde !!!
Mes 3 anges gardiens sont venus me souffler les ultimes encouragements au col des Montets. Ils sont extras et m’accompagnent sur les quelques hectomètres bitumés.
Je passe les premiers lacets avec l’énergie des copains et des spectateurs mais après une dizaine de minutes je me retrouve seul. Quelques frontales se confondent avec les étoiles, rendant vertigineux ce qu’il reste à accomplir. Allez c’est la dernière !!! Après une première pause à 1800m je cherche les balises placées le long d’un chemin devenu imaginaire. Je ne connaissais pas le sommet de la Tête au Vent ! C’est très montagnard et la fatigue rend la progression délicate. La fin de l’ascension est moins technique et, 1h30 après avoir laissé les copains aux Montets me voilà sur le dernier sommet de la course.
Dans la descente, je reste avec deux Anglais aussi rapides que moi ! Je tente encore de courir mais rien y fait. Je prends mon mal en patience jusque la Flégère, ultime ravitaillement du parcours.
Inutile de tenter de courir dans cette ultime descente. Je connais le sentier emprunté, ça va être long. Chamonix semble ne pas vouloir se rapprocher alors que des coureurs me doublent régulièrement. Les 33 heures de course approchent quand la SUUNTO s’arrête ! Je suis plus fort que la machine certes, mais je n’ai plus de repères.
Après le chalet de la Floria, le chemin s’élargit mais j’ai l’impression que la route n’arrivera jamais. Que c’est long !!! L’arrivée se profile enfin et un ultime coureur me double, je parie que ce sera le dernier… bon finalement encore deux – ils seront 16 au total entre la Flégère et Chamonix – puis la route, je rentre enfin dans Chamonix, je peux courir !
Je trottine avec je ne sais quelle énergie. Les applaudissements m’annoncent que c’est gagné ! Beaucoup de monde erre dans les rues de Chamonix et Gaétan m’accompagne – comme il l’a si souvent fait durant ces 30 dernières heures. Je pense à ma chérie et aux garçons, ils avaient raison, je serai finisher … Philippe et Régis se joignent à nous mais tout me semble surnaturel.
Ultime ligne droite, je remercie le public courageux ou aviné, le speaker me nomme, l’arche quittée 33h41 plus tôt me fait face ! Les copains m’accompagnent mais je ne les vois même pas : 10 mètres, 5 mètres… Ca y est !!! Je suis finisher de l’UTMB !!! Une drôle de course pour une drôle de perf ! Contrat rempli en moins de 35 heures. Je ne sais décrire ce que je ressens à cet instant. Je pensais pleurer, m’effondrer, être soulagé… mais je me sens plutôt redevable et c’est à l’instinct que je serre dans mes bras les hommes sans qui rien ne serait possible…
A peine assis je prends le téléphone que me tend Régis : ma chérie ! Il est 3h15 du matin et elle ne dort pas encore … En fait, je ne le saurais que plus tard, mais elle n’a que peu dormi ces dernières 48 heures. A peine raccroché que je reçois les félicitations de Delphine et Fredo. Mes cousins qui sont eux aussi restés éveillés de longues heures pour me suivre et m’encourager.
Si, sur cet UTMB, rien ne s’est déroulé comme je l’avais prévu j’ai pu, grâce au soutien de tous ceux qui m’entourent, repousser la douleur et laisser l’abnégation occulter la performance. Je suis allé chercher loin, très loin, les ressources mentales qui m’ont permis de finir.
Si le chrono est en phase avec mes prévisions et si la place est plus qu’honorable, ce n’est pas ce que je retiendrai de cette magnifique aventure alpine partagés avec des gens extraordinaires.
Grégory
Team UR
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