On le savait déjà depuis un certain temps pour la marque allemande, la firme japonaise vient de l’annoncer à son tour : vous ne verrez plus leur team officiel à la tête des pelotons. Nous avons discuté de cette tendance avec Benoît Holzerny, désormais ex manager du Team Mizuno, et ancien athlète adidas.
Commençons par rappeler quelques évidences pour bien comprendre la tendance qui semble se dessiner : le but d’une marque est de gagner de l’argent. Pour ça, il faut vendre un nombre toujours plus important de chaussures, vêtements et autres accessoires. Jusqu’ici le but des Teams était donc très clair : donner de la visibilité au produit, et imprimer dans nos esprit qu’il est bon d’aller l’acheter.
Les athlètes jugés pas assez bankables
Or aujourd’hui on assiste à la mort de deux Teams majeurs dans le milieu de la course à pied. Adidas a compté dans ses rangs quelques coureurs de renom au palmarès bien plus long que mon bras -notamment celui de champion du monde de trail avec Sylvain Court- et Mizuno a accumulé depuis quelques années quelques bibelots comme deux victoires au Templiers, une à la Saintélyon,…
Pourtant les deux marques mettent fin à l’aventure. Plus question de verser des primes et d’habiller des coureurs à longueur d’année, quand bien même leurs résultats sont éloquents. Pourquoi ? Benoît Holzerny a sa petite idée. « Aujourd’hui les athlètes ne sont pas ceux qui vendent le mieux. Ce qu’elles recherchent, c’est de l’image, pas forcément des résultats ».
Illustration concrète : on voit de plus en plus de blogueurs, instagrameurs et autres coureurs connectés qui finissent en »eur » gratifiés de chaussures et de vêtements, qu’ils portent et mettent en avant à grand coup de hashtags. « C’est sûr que c’est moins cher aujourd’hui d’envoyer une paire de chaussure à un blogueur qui va en parler plutôt que d’en envoyer dix à un athlète qui ne le fera pas toujours… Ou pas assez » estime Holzerny.
Une preuve parmi d’autres ? Sylvain Court est devenu champion du monde l’an dernier. Cela a t’il permis à la marque aux trois bandes de booster (le terme est de circonstance) ses ventes ? C’est difficilement quantifiable, mais force est de constater que sa visibilité a été assez limitée, même si il fait partie des traileurs français les plus suivis sur les réseaux sociaux.
Les coureurs « grand public » plus que jamais dans le viseur des marques
Notre époque est celle des réseaux sociaux et le running s’ouvre de plus en plus au grand public, aux »joggeurs » (pour utiliser un terme qui n’a absolument rien de péjoratif dans notre bouche). Les marques ont donc trouvé un moyen qu’elles jugent plus efficace et moins coûteux pour communiquer, donc pour vendre. Le tout en s’appuyant sur des gens comme vous et moi. « Elles préfèrent miser sur des coureurs en qui tout le monde peut s’identifier plutôt que sur des coureurs qui peuvent passer pour des extra terrestres pour le grand public » estime l’ex manager du Team Mizuno. « Ce qu’elles veulent, c’est attirer le client qui prend le départ pour être finisher. Ils sont bien plus nombreux que ceux qui visent la performance, contrairement à il y a une trentaine d’années. Avant, quelqu’un qui faisait le marathon en moins de 3h ne prenait même pas le départ. Aujourd’hui, tout le monde court ».
Une masse de coureurs qui représente un potentiel énorme, et qui n’a sans doute pas les mêmes attentes que le coureur compétiteur qui pour le coup est peut-être plus sensible à la communication des Teams qu’à celle des stars d’Instagram.
Une autre illustration ? Prenez les Battles organisées par adidas à Paris. Il s’agit de toucher des milliers de coureurs, avec des moyens limités, à grand coup de marketing autour d’événements fédérateurs. Un budget qui n’est plus alloué au coureur élite qui ne parlait pas forcément à ce public en recherche d’un évènement, d’une ambiance, voire d’un style de vie plutôt que de running pur et dur.
Une évolution irrémédiable ?
Il est évident que tout n’est pas si simple et si segmenté. Mais c’est une tendance de fond que constate Benoît Holzerny depuis quelques années. « Est-ce que ça va durer ? Est-ce que les marques prennent le bon chemin en visant avant tout les bobos qui courent un peu avant de viser les coureurs qui cherchent la performance ? Je n’en suis pas sûr, on verra ».
Certains élites ont aussi su évoluer. Ce n’est pas faire injure à un coureur comme Yoann Stuck que de dire qu’il n’a pas un palmarès mirobolant (Vous me direz que moi encore moins ? C’est vrai, mais tous les historiens n’ont pas fait la guerre, pourtant ils ont le droit d’en parler ! ) et pourtant il fait partie des deux seuls coureurs encore engagés avec adidas pour un an et compte d’autres marques dans son escarcelle. Pourquoi ? Parce qu’il a compris, comme d’autres avant lui (on pense à l’américain Anton Krupicka), que l’image est capitale. « Quand j’ai commencé, il fallait avoir un peu une bonne gueule mais il fallait surtout des performances. Aujourd’hui, il faut surtout une bonne gueule » sourit Holzerny.
En attendant, adidas et Mizuno ont pris un virage radical. Une poignée de coureurs sont encore sous contrat pour un an (Notamment Benoît Cori, double vainqueur des Templiers), les autres vont sans doute aller frapper à d’autres portes. Et elles sont de moins en moins nombreuses.