La douleur est le cauchemar de tous les coureurs à pied. Qu’elle soit d’apparition subite ou progressive la douleur modifie souvent les objectifs que l’on s’était fixé.
Elle peut être fugace et disparaitre aussi rapidement qu’elle est apparue ou s’installer doucement, insidieusement, progressivement et vous accompagner durant des mois lors de vos sorties. La douleur peut avoir des origines psychiques ou somatiques, mais dans tous les cas le ressenti douloureux est bien présent.
Quels sont donc les mécanismes de la douleur ? A quoi sert-elle ? Comment le corps s’en accommode-t-il ? L’homme est-il en capacité de passer outre et de « dompter » la douleur ? Est-il judicieux de continuer la course à pied en souffrant à chaque foulée ?
Définition et quelques notions sur la douleur
L’association internationale pour l’étude de la douleur a donné la définition suivante :
La douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle, ou décrite dans des termes impliquant une telle lésion.
A travers cette définition nous pouvons déjà voir que la douleur n’a pas qu’une composante somatique (sur le corps) mais également une composante psychologique en relation avec nos émotions. La douleur présente donc un versant sensoriel en relation directe avec l’agression douloureuse et un versant psychologique qui sera traité différemment d’un coureur à l’autre.
Effectivement, deux coureurs recevant des stimuli nociceptifs identiques ne vont pas réagir de la même façon, car ils n’ont pas le même seuil de tolérance à la douleur. D’autre part un même coureur peut réagir différemment à la même agression selon son état psychologique du moment : stress, fatigue, euphorie d’une course, dispute avec sa femme pour avoir jeté ses fringues de course pleines de boue devant la machine à laver…
L’athlète a la capacité, grâce à la répétition des efforts, d’augmenter son seuil de tolérance à la douleur.
Je ne sais pas si vous avez déjà remarqué mais certaines fois vous êtes tellement euphoriques et galvanisés par votre course que vous ne remarquez même pas la coupure et le sang qui perle à votre genou alors que dans d’autres circonstances la douleur vous aurez de suite alerté.
On différencie deux types de douleurs :
- La douleur aiguë d’apparition brutale et de courte durée correspondant à une agression ponctuelle de l’organisme.
- La douleur chronique qui est une douleur qui s’installe dans le temps (3 à 6 mois) et qui survient dans le cadre de pathologies bien précises.
C’est pourquoi il est primordial pour le corps médical de réaliser un diagnostic précis afin d’adapter au mieux la thérapeutique.
Un peu d’anatomie et de physiologie
Les récepteurs de la douleur :
Le corps est bardé de récepteurs qui l’informent sur différents paramètres : la pression, l’étirement des tissus, la chaleur et la douleur. C’est le système d’alarme du corps humain.
On appelle les récepteurs à la douleur les nocicepteurs. Ceux-ci correspondent à des terminaisons libres de fibres nerveuses sensitives qui se situent au niveau des tendons, des muscles, des ligaments, de la peau …
La conduction du message douloureux :
Ces nocicepteurs reçoivent l’information douloureuse et la transmettent par l’intermédiaire de fibres nerveuses. En ce qui concerne les douleurs somatiques qui nous intéressent dans notre activité sportive, la transmission du message douloureux se fait par différentes fibres qui ont des vitesses de conduction différentes :
- Les douleurs superficielles sont réceptionnées au niveau de la peau ou des muqueuses et sont véhiculées par les neurofibres A alpha. La vitesse de conduction est assez rapide de l’ordre de 20 à 80 m/s.
- Les douleurs profondes intéressent les articulations et les muscles et sont véhiculées par les neurofibres C amyélinisées dont la vitesse de conduction plus lente est de l’ordre de 0,4 à 1 m/s.
Ces deux types de fibres rejoignent la corne postérieure de la moelle épinière où elles entrainent la libération du neuromédiateur de la douleur : la substance P.
L’intégration du message douloureux :
Le message douloureux est transmis jusqu’au cerveau, plus précisément au niveau du thalamus dans un premier temps, pour rejoindre par la suite l’aire somesthésique du cortex.
C’est l’aire somesthésique qui transforme l’influx nerveux en message douloureux, c’est donc à ce moment que l’on perçoit la douleur.
Il existe dans le cerveau des mécanismes chimiques qui sont capables de moduler voir d’inhiber le message douloureux.
Le rôle des endorphines :
Qu’est ce qu’on est bien dans son canapé après une séance de course à pied, c’est même souvent le meilleur moment de la sortie … Cet état de bien être est dû à la libération d’endorphines dans notre organisme. Celles-ci sont libérées par l’hypothalamus et l’hypophyse et sont déversées dans le système nerveux central, les tissus de l’organisme et le sang.
La pratique de la course à pied entraîne selon l’intensité de l’effort une sécrétion plus ou moins importante de ces hormones du « bonheur ». Plus l’effort est important et prolongé plus le volume d’endorphines déversé dans le sang est important. La quantité d’endorphines libérée peut être cinq fois supérieure à celle au repos.
Les propriétés de ces hormones sont :
- un effet antalgique et analgésique : En se fixant sur certains récepteurs, les endorphines diminuent la sensation douloureuse en inhibant la conduction du message nerveux.
- l’euphorie : c’est cette sensation de « flottement » et que rien ne peut nous arriver.
- un effet anxiolytique : pour avoir cette sensation de diminution du stress, la durée et l’intensité de la pratique doit être conséquente (supérieur à 70% de la fréquence cardiaque maximale).
- un effet antifatigue: les endorphines ont un rôle modérateur sur l’activité cardiaque et respiratoire d’où une diminution de la sensation de fatigue.
- un effet d’accoutumance: c’est le phénomène d’addiction et ce besoin incontrôlable de toujours pratiquer son activité pour se sentir bien. Cette dépendance à l’effort peut entrainer lors de l’arrêt de l’activité chez les sportifs de haut niveau des conduites dopantes. En effet le corps ne recevant plus sa quantité d’endorphines endogènes (produites par son organisme) le sportif peut avoir recourt à une prise de molécules exogènes pour pallier ce manque et ce mal être.
Le rôle de la douleur :
Notre corps ne parle pas. Vous verrez rarement un muscle ou un tendon vous dire: « hey polo, tu peux t’arrêter s’il te plait, je souffre ». Le seul moyen qu’ont nos tissus pour nous alerter d’un problème est le message douloureux. C’est un cri d’alerte signifiant que des tissus sont en souffrance. Celle-ci peut être due à de simples douleurs musculaires (courbatures, crampes) ou bien annonciatrice d’une blessure plus importante.
C’est à ce niveau que l’expérience, le vécu, le ressenti de chaque coureur joue un rôle prépondérant. Chaque coureur dispose de sa propre bibliothèque des douleurs, il doit être capable de quantifier, de localiser, d’étiqueter cette douleur. En fonction de ce qu’il ressent la réponse à apporter à cette alerte sera adaptée, de l’arrêt immédiat de l’exercice en cas de douleur aiguë et fulgurante, jusqu’à une diminution de l’effort si la gêne est moins importante.
Le mot d’ordre est l’écoute. Le coureur doit être en osmose avec son corps et écouter ce qu’il lui dit. C’est au coureur de recevoir, d’analyser et d’interpréter les informations que lui envoient ses tissus.
Attention aux antalgiques et anti-inflammatoires
Comme nous l’avons vu plus haut la douleur est une alerte de l’organisme, elle nous informe qu’un tissu est en souffrance. Les antalgiques et anti-inflammatoires ont cette capacité de diminuer voir de bloquer le message douloureux : c’est un cache misère.
De manière ponctuelle ces médicaments peuvent vous aider à réaliser une course, mais vous ne devez en aucun cas prendre l’habitude d’avaler des pilules avant chaque épreuve.
Qui dit médicament dit effets secondaires !!! Sur du long terme les anti-inflammatoires et antalgiques altèrent les fonctions rénales, hépatiques, gastriques …
La chimie ne règle pas la cause (irritation d’un tendon, d’un nerf …) mais traite les conséquences (la douleur et l’inflammation). Autrement dit, vous pouvez vous gaver de pilules mais elles ne régleront en rien l’origine de votre mal.
Au contraire le fait d’ignorer sa douleur peut provoquer une altération plus importante des tissus. Une tendinite achilléenne peut rapidement se transformer en une rupture du tendon d’achille.
Plutôt que d’avoir recours en permanence à votre pharmacie il est plus judicieux d’aller consulter votre kinésithérapeute ou ostéopathe afin qu’il vous libère des causes à l’origine de vos souffrances.
Comment éviter les douleurs ?
La douleur doit être une source de questionnement pour le coureur. S’il y a douleur, c’est qu’un tissu souffre.
Voici quelques conseils pour éviter au mieux d’avoir mal lors de vos sorties en course à pied :
- Toujours prendre le temps de s’échauffer avant de faire la séance
- Respecter les temps de repos pendant une séance. Ils sont aussi importants que les temps de travail
- Courir avec du matériel adapté et plus particulièrement les chaussures
- S’hydrater correctement avant, pendant et après une course
- Dormir suffisamment pour que le corps récupère
- Adapter sa charge de travail à son niveau du moment
- Votre entrainement doit être progressif tant sur l’intensité, la durée que le nombre de séances hebdomadaires
- En cas de grande fatigue il est plus judicieux de sauter une séance plutôt que de se blesser
- Prenez le temps de manger équilibré
- Massez vous régulièrement et étirez vous tous les jours
- Consultez votre ostéopathe une à deux fois par an ou plus si nécessaire
La douleur est une information que le corps nous donne et qu’il ne faut pas négliger. Celle-ci doit être analysée afin de prendre la meilleure décision. A mon sens la grande difficulté que nous avons en tant que coureur est de différencier une douleur bénigne, inhérente à notre pratique, d’une douleur dite « pathologique ». C’est notre expérience de coureur qui nous dira quelle solution adoptée.
Nous devons être à l’écoute de notre corps. Nous sommes tous différents devant la douleur et avons des seuils de tolérance différents. C’est à chacun de nous de connaitre ses limites et de savoir jusqu’où l’on peut maltraiter son corps. La force mentale peut nous faire déplacer des montagnes mais attention aux lendemains de course moins enchanteurs …
Personnellement je considère la douleur comme une amie. En effet elle me permet de pratiquer mon sport sans trop me blesser. J’essaie de l’écouter dès qu’elle pointe le bout de son nez et j’adapte mes sorties en conséquence.
Essayez également de faire copain-copine avec la douleur, vous vous blesserez beaucoup moins et courir rimera toujours avec plaisir et performance.
Vincent Lemoine
Kinésithérapeute, Ostéopathe D.O