25 secondes, c’est finalement ce qu’il a manqué à Eliud Kipchoge, samedi 6 mai, pour descendre sous la barre mythique des deux heures sur marathon, et rentrer ainsi définitivement dans la légende de la course à pied. Partie remise ? L’avenir le dira. Cet « échec » referme en tout cas la parenthèse sur une tentative de record qui a suscité de virulentes critiques.
La limite des 2 heures va rester, encore pour quelques temps, une barrière mythique, totalement infranchissable pour le commun des runners. Tout juste envisageable pour quelques extra-terrestres. Quoi qu’il en soit, cette tentative a donné lieu à une vague de protestations passionnées. Retour sur quelques-unes d’entre elles.
« Une grossière opération marketing »
Nike, à l’origine de ce projet de record, n’est ni l’Unicef, ni Médecins Sans Frontières, ni Greenpeace. Oui c’est une société à but commercial qui cherche à augmenter en permanence son chiffre d’affaires (32,4 milliards de dollars en 2016, +6% par rapport à 2015) et développer sa marque. De ce fait, comme toute société commerciale, elle communique et organise des évènements à finalité promotionnelle.
Nike avait par exemple organisé pour la première fois la Human Race en 2008 avec l’objectif de réunir, sur une course de 10 kilomètres, un million de participants (finalement 780 000) répartis sur toute la planète. Adidas a créé la Battle Run en 2014. Salomon a pratiquement inventé le trail au début des annéess 2000 en créant des chaussures spécifiques, etc. Est-ce si choquant ?
Tous ces projets ne sont pas développés pour le seul bonheur de l’humanité mais le sont clairement au service d’une marque. Cela discrédite-t-il pour autant un projet comme celui du marathon en moins de deux heures ? Cela lui supprime-t-il tout intérêt ? Cela dessert-il ce sport que nous aimons ?
« La tentative n’est pas faite sur un marathon officiel »
Oui c’est vrai. Et on pourrait d’ailleurs sans réserve dire comme les plus puristes des runners qu’il serait souhaitable qu’un tel record soit tenté (battu ?) dans le cadre d’un vrai marathon, c’est-à-dire là où tous les coureurs sont à armes égales et livrés à eux-mêmes.
Toutefois, force est de constater qu’en l’état actuel des connaissances en matière de programmation d’entrainement, de nutrition, de gestion d’effort, courir un marathon en moins de deux à Berlin ou ailleurs n’est pas encore possible. Doit-on pour autant abandonner toute envie de titiller cette barrière des 2h, si proche et si loin ?
Rappelons que l’amélioration des performances est l’essence même du sport de très haut-niveau. Dans l’histoire, beaucoup de records ont été battus hors de toute compétition régulière et ce, dans de nombreux sports : record de l’heure en cyclisme sur piste, de traversée de l’atlantique à la voile, de vitesse en planche à voile, etc.
« Il a des chaussures trafiquées »
Le haut-niveau, quel que soit le sport, nécessite du matériel de haut-niveau. Ce matériel (raquettes, skis, vélos, clubs de golf, etc.) n’est pas celui du grand public et il n’y a sans doute pas là matière à scandale. Il n’est donc pas étonnant que cette tentative de record ait donné lieu à la création d’une paire de chaussures dédiées (surtout pour un fabricant d’articles de sport) permettant d’optimiser la performance.
Pour autant, la vigilance est de mise pour continuer à trouver le bon équilibre entre optimisation de la performance et dopage technologique. L’histoire plus ou moins récente du sport compte plusieurs exemples de performances anormalement aidées par le matériel et invalidées ou non-homologuées par la suite.
Citons notamment le record de l’heure en cyclisme sur piste de Graham Obree en 1993, divers records en natation dans les années 2000 obtenus avec des combinaisons spéciales ou d’autres résultats en golf obtenus ces dernières années avec des belly putters ou long putters.
« Courir sur un circuit ? bonjour l’ennui ! »
Cette tentative de record n’avait pas pour objectif de faire rêver grâce à des paysages à couper le souffle. Pour cela, il y a l’UTMB, la Diagonale des Fous et tant d’autres.
Mais est-ce que seuls les parcours aux paysages excitants ont voix au chapitre ? Si oui que dire/penser d’épreuves telles que le Marathon du Mans qui propose au grand public de courir sur le circuit des 24h du Mans, exemple s’il en est de paysage pour le moins monotone…
« Avec des lièvres, ça n’a aucun intérêt, il est sûr de réussir »
La preuve que non. Cette poignée de secondes en trop est l’illustration que la firme Nike, toute puissante qu’elle est, et malgré tous ses dollars, ne réussit pas tout, ne contrôle pas tout, ne peut pas tout. Le sport reste le sport, avec sa dose d’incertitude. Et c’est très bien comme ça.